Intervue Ecrire et Editer (in French)

Entretien à paraître en mars 2005 dans l’annuaire “L’année 2004 dans l’édition”, supplément de la revue Ecrire & Editer. Un numéro en vente au Salon du Livre de Paris.

Il y a quatre ans, lors de notre première rencontre, Richard Beard vivait dans la campagne anglaise. Il venait de publier son troisième roman, The Cartoonist, récit d’un sabotage rocambolesque dans un parc d’attraction modelé sur Disneyland Paris. Depuis l’artiste a changé d’air. Il s’est envolé pour Tokyo pour y enseigner l’écriture à de futurs ministres japonais. Il n’a pas abandonné le métier pour autant. Après Dry Bones , son quatrième roman, Beard s’est lancer dans la non-fiction. En pleine coupe du Monde de rugby 2003, il sort un petit succès populaire, Muddied Oafs. Un essai autobiographique qui entraine le lecteur dans le monde du ballon ovale en France, au Royaume-Uni et en Suisse. On lit désormais les chroniques sportives de cet Anglais francophile dans le Times de Londres deux fois par mois et l’on attend avec impatience sa prochaine oeuvre de fiction.
E&E : Qu’est-ce qui a changé pour toi en quatre ans ?
J’ai écrit pendant dix ans, huit heures par jour, cinq jour sur sept. Au bout d’un moment, l’esprit s’use à travailler ainsi. J’avais besoin d’un changement, d’une grande lessive. C’est pourquoi, j’ai cherché du travail à l’étranger. On m’a proposé un poste à l’Université de Tokyo, la plus prestigieuse du Japon. J’ai accepté, emportant armes, bagages, femme et enfants (deux bientôt trois) avec moi. Ici tout est tellement différent que j’ai l’impression de subir un nettoyage cérébral. J’ai prévu de rester trois ans pour suivre le programme complet, avec rinçage et essorage.

Ton regard sur l’édition : comment ce monde-là a-t-il évolué?

Il est plus difficile que jamais de vendre de la fiction. Tous les éditeurs sont en quête d’un nouveau Harry Potter. Et pas forcément du prochain Georges Perec. L’informatique a complètement bouleversé la donne. Désormais, les éditeurs peuvent suivre l’évolution des ventes au quotidien dans toutes les librairies d’Angleterre. On ne peut donc plus échapper à la réalité économique.

Cela a-t-il modifié tes choix d’écriture?

Bien au contraire. Les changements dans l’édition ne signifient pas qu’il faille cesser de produire des romans de qualité. Personnellement, j’ai fait l’erreur avec The Cartoonist, mon troisième roman, de vouloir plaire au public. Ca n’a pas marché et je n’ai plus recommencé. Pour Dry Bones, je suis revenu à ce qui m’intéresse, à de l’expérimental. L’accueil fut nettement plus favorable.

Quel en est le sujet?

L’histoire d’un vicaire anglican basé à Genève qui veut sauver son église de la fermeture. Pour récolter des fonds, il récupère dans les cimetières suisses les ossements de personnalités qui y sont enterrées (En général, ces gens-là finissent en Suisse pour échapper aux critiques et aux impôts). Or, les os récoltés vont agir sur le prêtre comme des reliques traditionnelles. Le vicaire découvre que son comportement change en fonction des restes qu’il récupère. Quand il essaie de vendre les os de l’acteur Richard Burton, il devient alcoolique et coureur de jupons. Quand c’est Charlie Chaplin, il trébuche sans cesse, poursuivi par la police. Ca complique l’intrigue avec des accélérations de rythme incessantes. Et puis, c’est un moyen de travailler le personnage. C’est très amusant à écrire.

Tu es chez le même éditeur depuis le début?

Pas du tout, j’ai changé trois fois d’éditeur et d’agent littéraire (vecteur essentiel entre l’auteur et l’éditeur chez les Anglo-Saxons). Mais c’était toujours des grosses maisons. Je reste pour l’instant chez Random House plutôt que chez un éditeur indépendant. J’y trouve la sécurité et une plus large distribution. Mes deux premiers bouquins ressortent chez Vintage cette année. Un film inspiré de Damascus (mon deuxième roman) est en préparation. Et le même roman a été traduit en hébreu, en russe et en japonais. Mais hélas pas encore en français !

C’est donc ta stratégie qui évolue?

Oui, il faut rester souple. Sans faire du commercial, on peut diversifier la production. C’est pourquoi je me suis lancé dans la non-fiction. Et ça fonctionne. J’ai sorti un livre sur le rugby, ma deuxième passion, qui s’est plutôt bien vendu. J’ai décroché ainsi une chronique bimensuelle dans le Times. Et conclu un contrat pour un nouveau récit de voyage sportif qui m’amènera en Australie l’été prochain. A la plage!

Toujours sur le rugby?

Pas seulement. Sur la place du sport dans la société australienne. On dit qu’ils en ont fait leur religion.

As-tu trouvé d’autres moyens de te diversifier?

J’ai lancé mon propre site Internet (www.richardbeard.info). Il faut exploiter les avantages des nouvelles technologies. Avec cette vitrine électronique, je ne dépends plus seulement des agents de publicité. Je peux me vendre seul, exposer, présenter mon travail à ma guise, mieux me faire connaître de mes lecteurs et de ceux qui ne le sont pas encore. Il y a aussi la chronique. L’écriture journalistique est un défi. Ecrire en sept cents mots une histoire qu’on aimerait parfois tirer à deux mille… C’est comme un spring pour athlète. Ca peut être douloureux. Mais c’est un bon entrainement. J’ai aussi publié des nouvelles et des articles dans quelques magazines, et pas seulement sur le sport.

Tes projets littéraires?

J’ai commencé ce que j’appelle mon ‘chef d’oeuvre’. je dis toujours cela. Mais cette fois j’ai bien l’intention d’y mettre tout ce que je sais.

D’autres projets?

Gagner ma vie en écrivant et. jouer pour l’Angleterre au Stade de France.

Il y a quatre ans, tu nous avais confié tes « dix commandements ». Tu les conserves en l’état ?

Oui, tels quels. Mais j’en ajoute un onzième : n’abandonne jamais. L’essentiel est de pouvoir continuer ce métier, même si tu ne deviens jamais J.K. Rowling.

Note bibliographique

Richard Beard a publié quatre romans. Pour les deux premiers, l’auteur s’est inspiré des techniques oulipiennes en s’imposant des contraintes de départ. X20 (Flamingo 1996) raconte l’histoire d’un homme qui essaie d’arrêter de fumer. Chaque fois qu’il est tenté de recommencer, il saisit sa plume pour écrire. Damascus (Flamingo 1998) est un roman d’amour dont l’intrigue se déroule sur une seule journée. Tous les noms de l’ouvrage sont empruntés à l’édition du Times du 1er novembre 1993 (date du Traité de Maastricht). Pour ses deux derniers romans, Beard a changé de méthode. Dans The Cartoonist (Bloomsbury 2000), l’auteur s’est plié à des contraintes sociales. Il n’a pu, sans se mettre à dos les avocats de Disney, situer l’intrigue du livre à Disneyland Paris. Il a donc réécrit l’ouvrage avec des limites qui lui évitaient un procès en diffamation. Pour Dry Bones (Random House 2004), le travail expérimental s’attache au protagoniste, dont le comportement varie en fonction des reliques exhumées. Pour Muddied Oafs, premier essai autobiographique, Richard Beard change de genre et conjugue amour du rugby et écriture. Curieux de savoir ce que le jeu est devenu à l’ère du professionnalisme, il retourne dans des clubs fréquentés en Angleterre, en Ecosse, au SCUF à Paris et à Genève. Qu’on se le dise enfin: quel qu’en soit le sujet, l’oeuvre de Richard Beard demeure accessible, drôle et originale.